L'ENVIRONNEMENT, CONSIDÉRATION D'ORDRE NON COMMERCIAL
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Published under: Stoltenberg's 1st Government
Publisher: Ministry of Agriculture
Guidelines/brochures | Date: 20/06/2001
L'ENVIRONNEMENT, CONSIDÉRATION D'ORDRE NON COMMERCIAL
Conférence internationale sur les questions non commerciales dans le secteur agricole
Île Maurice, 28-31 mai 2001
Deuxième document de travail
présenté par la Commission européenne
Sommaire
INSTRUMENTS POLITIQUES UTILISÉS POUR PRENDRE EN COMPTE LES CAOC LIÉES À L'ENVIRONNEMENT
POLITIQUES ENVIRONNEMENTALES DANS LE CONTEXTE DE L'ACTUEL ACCORD SUR L'AGRICULTURE DE L'OMC
AnnexesINTRODUCTION
Dans son document intitulé "La contribution de l'agriculture aux considérations d'ordre non commercial liées à l'environnement et à la culture", présenté à la conférence d'Ullensvang sur les questions non commerciales (2-4 juillet 2000), la Commission européenne analysait le lien entre agriculture et préservation de l'environnement et elle concluait à la nécessité de politiques spécifiquement conçues dans cette perspective. Quant à la présente note, après avoir résumé les conclusions tirées du document d'Ullensvang, elle passe en revue les instruments politiques actuellement utilisés en la matière dans un certain nombre de pays, ainsi que les dispositions pertinentes de l'accord sur l'agriculture relatives aux mesures environnementales; elle traite ensuite des modalités de prise en compte des questions environnementales dans un futur accord sur l'agriculture.
CONCLUSIONS TIRÉES DU DOCUMENT PRÉSENTÉ À ULLENSVANG SUR LES CAOC LIÉES À L'ENVIRONNEMENT
- Le document a mis en évidence trois questions non commerciales liées à l'environnement:
- Conservation de la biodiversité, c'est-à-dire les nombres d'espèces et d'individus constituant la flore et la faune;
- Préservation des paysages façonnés par l'agriculture, y compris certains éléments tels que les habitats semi-naturels et les cultures en terrasses;
- Protection contre les catastrophes, qu'elles soient naturelles ou provoquées (ou encore aggravées) par l'intervention humaine, par exemple les inondations, les incendies, les avalanches et de graves phénomènes d'érosion résultant de l'action des vents ou de l'eau.
- Le document soulignait que la prise en compte de ces considérations d'ordre non commercial dépendra de l'importance que la société y attache. Le secteur agricole de tel ou tel pays ou région tiendra compte de ces considérations dans une mesure qui dépendra de diverses variables (développement technologique, structures d'exploitation, disponibilité en capitaux, en terre et en main-d'œuvre, signaux du marché, intensité de la concurrence), mais aussi des "messages" délivrés par la politique gouvernementale. Pour toutes les considérations d'ordre non commerciales, il faut cependant bien veiller à identifier les objectifs qu'il est légitime de poursuivre et à éviter les dérives. Lorsque des valeurs d'intérêt collectif sont en cause, par exemple des avancées environnementales, il y a peu de chances pour que les techniques et le marché réagissent de manière assez positive pour que l'on aboutisse au résultat recherché. Voilà pourquoi il peut être nécessaire de prendre des mesures ciblées.
- Le document concluait à la nécessité, pour répondre aux préoccupations d'ordre non commercial de la société, de mettre en œuvre une série d'instruments politiques dont voici quelques exemples:
- Actions d'encouragement sous forme de services de vulgarisation, de campagnes publicitaires et de sensibilisation du public (campagnes pouvant être animées par des organisations non gouvernementales);
- Dispositions contraignantes, le cas échéant, par exemple dans le cas d'activités liées à l'agriculture et qu'il convient de prohiber. La voie réglementaire peut être la solution appropriée pour prévenir des pollutions, les frais de mise en conformité étant normalement à la charge de les agriculteurs.
- Programmes conçus pour persuader les agriculteurs de fournir de leur plein gré des prestations d'intérêt collectif, par exemple dans le domaine de l'environnement. Les agriculteurs sont en principe disposés, dans l'intérêt de l'environnement, à aller au-delà de ce qu'exigent les "bonnes pratiques agricoles", pourvu que les services y afférents donnent lieu à une rétribution appropriée. En suscitant l'émergence d'un "marché" des services rendus à la collectivité, les agriculteurs peuvent intégrer dans leurs décisions économiques les facteurs environnementaux, au même titre que les caractéristiques de la demande qui se manifeste pour leurs productions végétales et animales.
- Le document soulignait d'autre part que les gouvernements, lors de l'élaboration des réponses politiques à apporter à la prise en compte des considérations d'ordre non commercial, ont le devoir de veiller à ce que le bien public constitue la finalité effective de la politique ainsi définie. À cet effet, il faut que les mesures soient ciblées, axées sur des objectifs clairs, gérées dans la transparence et mises en œuvre de telle sorte que le risque de distorsions en matière d'échanges commerciaux soit le plus faible possible.
- Il était en outre souligné que bon nombre de CAOC liées à l'environnement ne peuvent être prises en compte que dans le cadre des activités agricoles. En conséquence, lorsque la société demande aux agriculteurs, au nom d'intérêts environnementaux légitimes, d'aller au-delà de ce qu'exigerait le simple respect intégral des "bonnes pratiques agricoles", la réaction des agriculteurs devrait être positive, mais seulement pour autant que l'on couvrira leurs frais supplémentaires et leur manque à gagner.
- Enfin, il convient que le processus de réforme qui s'inscrit dans le cadre des règles de l'OMC permette aux gouvernements de mettre en œuvre les politiques - existantes et à venir - axées sur des préoccupations d'ordre non commercial liées à l'environnement.
- Un résumé du document d'Ullensvang est joint en annexe 1.
INSTRUMENTS POLITIQUES UTILISÉS POUR PRENDRE EN COMPTE LES CAOC LIÉES À L'ENVIRONNEMENT
- Les gouvernements feront cas des politiques environnementales dans une mesure qui dépend pour beaucoup de l'importance qu'y attachera la société, en fonction de valeurs correspondant à des seuils communément acceptés, encore que l'histoire et la culture puissent également les influencer. C'est ainsi que les priorités auront tendance à varier et à évoluer différemment d'un pays à l'autre.
- La préservation de caractéristiques environnementales appréciées peut également constituer un facteur de développement rural dans la mesure où elle est propre à favoriser le développement du tourisme, source de revenus dont l'importance va croissant tant dans les zones rurales des pays développés que dans celles des pays en développement. L'annexe 2 présente des exemples de politiques menées à cet égard dans divers pays.
- Politiques environnementales dans le contexte de l'actuel accord de l'OMC sur l'agriculture.
POLITIQUES ENVIRONNEMENTALES DANS LE CONTEXTE DE L'ACTUEL ACCORD DE L'OMC SUR L'AGRICULTURE
- L'accord sur l'agriculture conclu dans le cadre du cycle d'Uruguay contient une définition des versements au titre de programmes de protection de l'environnement non soumis à des engagements de réduction ("boîte verte"). En voici le texte (annexe 2, paragraphe 12):
Versements au titre de programmes de protection de l'environnement
(a) Le droit à bénéficier de ces versements sera déterminé dans le cadre d'un programme public clairement défini de protection de l'environnement ou de conservation et dépendra de l'observation de conditions spécifiques prévues par ce programme public, y compris les conditions liées aux méthodes de production ou aux intrants.
(b) Le montant des versements sera limité aux coûts supplémentaires ou aux pertes de revenus découlant de l'observation du programme public.
- La question des versements couverts par d'autres dispositions n'est toutefois pas traitée. À titre d'exemple, il n'est pas fait état des versements directs qui sont assujettis aux règles communautaires d'éco-conditionnalité, décrites à l'annexe 2, en vertu desquelles le versement des aides directes de la Communauté relevant de la "boîte bleue" est subordonné au respect de la "bonne pratique agricole".
COMMENT LA POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE DEVRAIT-ELLE ÊTRE PRISE EN COMPTE DANS UN FUTUR ACCORD SUR L'AGRICULTURE DE L'OMC?
- La société dans son ensemble est de plus en plus consciente de la nécessité de traiter les problèmes environnementaux tant sur le plan local qu'au niveau planétaire. Ce sont là d'authentiques considérations autres que d'ordre commercial et c'est pour y répondre que dans le monde entier divers pays adoptent toute une série d'instruments politiques, y compris des mesures qui retentissent sur le secteur agricole. Il y a donc lieu de proposer que les questions environnementales soient examinées dans le contexte des négociations agricoles et plus particulièrement lors de la discussion relative aux considérations autres que d'ordre commercial, en vue de faire le point sur les dispositions existantes pertinentes et d'établir quelles seraient les nouvelles dispositions éventuellement nécessaires.
- Toutefois, lorsqu'ils élaborent des mesures répondant à des considérations autres que d'ordre commercial, les gouvernements ont le devoir de veiller à ce que l'objectif de la politique ainsi adoptée soit manifestement de servir l'intérêt collectif. Autrement dit, dans le contexte des négociations agricoles, il ne faudra pas perdre de vue la nécessité de faire en sorte que les politiques soient ciblées, axées sur des objectifs clairs, gérées dans la transparence et mises en œuvre de manière à réduire au minimum les risques de distorsion des échanges. Une telle approche serait de nature à permettre aux gouvernements d'appliquer des politiques tenant dûment compte des considérations légitimes autres que d'ordre commercial liées à la protection de l'environnement.
- La conférence de l'île Maurice portant sur les CAOC devrait traiter de manière assez approfondie ces diverses questions, identifier les mesures de politique environnementale et définir la place qu'il convient de leur réserver dans un futur accord sur l'agriculture.
- Voici quelques questions qui pourraient faire l'objet d'un débat:
- Quel rapport y a-t-il entre l'environnement et une libéralisation plus poussée du système commercial?
- Les critères d'inclusion des mesures dans l'actuelle "boîte verte" sont-ils assez larges pour répondre aux préoccupations de la société en matière d'environnement?
- Quelles sont les mesures, hormis celles contenues dans la "boîte verte", qui pourraient être utiles pour traiter les questions environnementales?
- Étant donné les différences existant dans le monde quant aux attitudes adoptées par la société à propos des questions environnementales, quelle est l'approche la plus appropriée à l'obtention d'une réponse adéquate, acceptable pour tous?
Annexe 1
RÉSUMÉ DU DOCUMENT SUR L'ENVIRONNEMENT PRÉSENTÉ PAR LA CE À ULLENSVANG
- Le document mettait en évidence trois questions non commerciales liées à l'environnement (les apports civilisationnels de l'agriculture, qui y étaient traités, ne sont pas repris dans le présent document):
- conservation de la biodiversité, c'est-à-dire les nombres d'espèces et d'individus constituant la flore et la faune;
- préservation de paysages façonnés par l'agriculture, y compris certains éléments tels que les habitats semi-naturels et les cultures en terrasses;
- protection contre les catastrophes, qu'elles soient naturelles ou provoquées (ou encore aggravées) par l'intervention humaine, par exemple les inondations, les incendies, les avalanches et de graves phénomènes d'érosion résultant de l'action des vents ou de l'eau.
- La prise en compte de ces considérations non commerciales dépendra de l'importance que la société y attache. Le secteur agricole de tel ou tel pays ou région tiendra compte de ces considérations dans une mesure qui dépendra des diverses variables (développement technologique), structures d'exploitation, disponibilité en capitaux, en terres et en main-d'œuvre, signaux du marché, intensité de la concurrence), ainsi que des "messages" délivrés par la politique gouvernementale. Pour toutes les considérations d'ordre non commercial, il faut cependant bien veiller à identifier les objectifs qu'il est légitime de poursuivre et à éviter les dérives. S'agissant de valeurs d'intérêt collectif, par exemple des avancées environnementales, il y a peu de chances pour que les techniques et les marchés réagissent de manière assez positive pour que l'on puisse aboutir aux résultats recherchés. Voilà pourquoi il peut être nécessaire de prendre des mesures ciblées.
LE LEGS DE L'ACTIVITÉ AGRICOLE
- Les paysages ruraux qui n'ont pas été façonnés par l'activité agricole sont en minorité dans le monde. L'originalité de l'espace rural tient à la configuration et aux dimensions des champs, à l'étendue et à la typologie des herbages, à divers aspects caractéristiques, à l'utilisation de terrasses, aux rotations de cultures et à la structure de l'habitat rural. La stabilité écologique des zones rurales porte également l'emprunte de l'activité agricole passée, laquelle a influencé l'évolution de diverses espèces de la flore et de la faune sauvages. Cette corrélation entre l'environnement rural et les systèmes agricoles constituent un trait commun aux campagnes du monde entier.
- Les effets de l'agriculture sur l'environnement ont toutefois été la conséquence - non voulue dans une large mesure - des efforts accomplis par les paysans pour surmonter les difficultés qui limitaient leur capacité de production. La nécessité de maîtriser l'approvisionnement en eau a joué un rôle central dans le développement de l'agriculture. Sur les hautes terres d'Asie, l'homme a créé des systèmes de cultures en terrasses dans les régions montagneuses pour recueillir les eaux et en réguler le débit et pour prévenir l'érosion des sols à la saison des pluies. Un effet secondaire a été obtenu, à savoir la protection des terres situées en aval contre les inondations. Dans les zones de faible altitude du monde entier, des systèmes de retenues utilisés et entretenus par les agriculteurs aident à faire face aux crues périodiques et à en tirer parti.
- La nécessité d'accroître les apports d'éléments nutritifs, a engendré des problèmes de pollution des ressources en eau, nouveau défi à relever pour les agriculteurs. Les efforts que ceux-ci déploient pour améliorer la fertilité des sols ont eu des effets durables sur le paysage et sur la biodiversité. Les moyens de trouver d'autres sources d'éléments nutritifs et de l'énergie se sont perfectionnés à l'échelon local, à travers des systèmes de pâturage sur les landes et dans les forêts, à l'utilisation alternée des champs, des prairies et de la jachère, pratiques qui ont été à l'origine de paysages caractéristiques. Les agriculteurs ont de surcroît adopté des techniques devant permettre de relever divers défis, et notamment de réduire les risques d'épizooties, de lutter contre les incendies, la sécheresse, l'érosion éolienne et autres catastrophes naturelles, et de cultiver des terres difficiles à exploiter. C'est ainsi que s'explique un certain accroissement de la biodiversité, qu'il s'agisse des espèces domestiques ou sauvages, la création d'habitats semi-naturels et les paysages que nous connaissons aujourd'hui, façonnés par l'agriculture.
- Si les efforts déployés sur le plan technique ont initialement abouti à un type de paysage très prisé de la société, il y a également un passif à déplorer en ce sens que des progrès technologiques plus récents ont eu des effets délétères. Dans des cas extrêmes, il a même fallu renoncer à exploiter des superficies devenues trop vulnérables à l'érosion provoquée par les vents ou par l'eau, parce que l'on avait appliqué des méthodes de culture inadéquates. Le progrès technique, des disponibilités en capitaux et des considérations de compétitivité ont été à l'origine d'une évolution qui a vu les systèmes fondés sur la monoculture se substituer aux exploitations polyvalentes, modifiant du même coup les paysages, la flore et la faune qui en étaient les corollaires. Un problème particulièrement grave a été posé par la marginalisation de certains systèmes agricoles, elle-même provoquée par la concurrence d'autres modes de production, plus efficaces. Ainsi, les cultures céréalières ou les productions animales dans les pays en développement (du point de vue économique) peut être moins efficace que les productions équivalentes dans les pays développés, malgré des avantages substantiels en matière de compétitivité et la proximité des marchés locaux. Même dans les pays économiquement développés, la pérennité de certains systèmes de culture revêtant une importance primordiale pour la conservation du paysage et pour la biodiversité peut être menacée pour des raisons du même ordre dans des zones marginales (régions montagneuses, arides, etc.).
LES RETOMBÉES ENVIRONNEMENTALES DE L'AGRICULTURE
- Les systèmes de culture d'aujourd'hui continuent d'influer sur l'évolution de l'environnement rural. L'agriculture a des conséquences heureuses, en ce sens que grâce à elle les considérations autres que d'ordre commercial ne sont pas perdues de vue et font même l'objet d'une attention accrue, mais aussi des effets fâcheux comme la pollution des ressources en eau ou la destruction de certains éléments du paysage. Les principaux centres d'intérêt sont respectivement la biodiversité, le paysage façonné par l'agriculture et enfin les catastrophes naturelles.
- Biodiversité: Des recherches effectuées en Europe du Nord ont montré que la grande majorité des espèces de plantes vasculaires que l'on rencontre dans la nature sont tributaires de grands espaces cultivés. Si l'activité agricole devait disparaître, le maquis aurait tôt fait de gagner du terrain, évolution qui aboutirait à l'afforestation et à une régression de la biodiversité. Reste que les systèmes de cultures dont dépend la biodiversité végétale se caractérisent par un type d'élevage qui exige peu d'intrants et dont le rendement est faible. Un système intensif exigeant beaucoup d'intrants et donnant un haut rendement nécessite d'importants apports d'éléments nutritifs; il ne permettrait assurément pas de conserver la diversité biologique des superficies herbagères. À noter qu'en termes d'efficacité économique, un système à bas rendement exigeant peu d'intrants n'es pas en soi inférieur à un système intensif si l'on considère que l'efficacité dépend de variables telles que les coûts et les profits, et en particulier du niveau d'endettement de l'exploitation et de son taux de capitalisation.
- La gestion des systèmes de l'agriculture voués à la conservation de la biodiversité peut imposer aux agriculteurs l'obligation de se lancer dans des activités coûteuses ou de renoncer à des opérations rentables. Il en résultera dans bien des cas une baisse de production imputable à de moindres apports d'intrants, laquelle fait régresser les rendements en denrées alimentaires et en fibres. L'activité axée sur la conservation est liée à la production, mais le rendement est inférieur à celui qu'aurait permis d'obtenir l'autre système de culture.
- Paysage façonné par l'agriculture: Pendant une bonne part de son cycle de croissance, le riz doit être cultivé dans une eau qui s'écoule lentement, si bien que les rizières doivent être établies en terrain plat. Dans les régions de collines et de montagnes, la nécessité de pratiquer la riziculture en terrasses s'est donc imposée d'elle-même, par exemple au Japon. Le riz peut assurément être cultivé à moindre coût dans d'autres parties du monde, mais il est hautement probable que la disparition de ce type de riziculture se solderait par la dégradation et en fin de compte par la destruction des terrasses. Il y aurait là un facteur d'appauvrissement du paysage et une aggravation des risques d'inondation pour les populations vivant en aval.
- Dans le monde existent des zones rurales où l'originalité des paysages tient à l'existence de l'exploitation mixte qui, outre l'élevage, pratique la rotation des cultures, laquelle permet d'accroître la fertilité du sol et de diversifier la production. Grâce au progrès technique, les agriculteurs ont cependant été en mesure de se spécialiser davantage tout en augmentant la productivité, non sans dégâts pour le paysage. Dans certains pays, l'abandon du système des exploitations mixtes a eu pour effet d'appauvrir les sols, de les éroder. Voilà pourquoi les agriculteurs ont le devoir d'appliquer des techniques de gestion spécifiques pour que les terres restent cultivables, et de prévenir l'érosion des sols. La préservation de paysages façonnés par l'agriculture peut imposer des dépenses inhérentes à la "maintenance" ou imputables à la nécessité de mettre en œuvre des méthodes de culture non rentables dans des sites exposés à la cessation de l'activité agricole.
- Catastrophes naturelles: Là où il existe un paysage semi-naturel, les activités agricoles peuvent influer considérablement sur les effets des catastrophes naturelles. C'est par exemple le cas de la riziculture en terrasses, qui protège des inondations les régions situées en aval, ou encore des terres soustraites à la désertification grâce à l'action des agriculteurs. L'abandon des cultures en terrasse explique de toute évidence la défiguration de vastes régions collinaires en Europe. La prévention de nombreux autres types de désastres est tributaire elle aussi des méthodes de culture. Dans les régions sèches, l'embroussaillement peut entraîner de graves risques d'incendies. La mise en œuvre de pratiques culturales appropriées et le débroussaillement aident à prévenir ce risque. Le passage d'animaux herbivores ou la fauchaison peut également diminuer les risques d'avalanches dans les régions montagneuses.
- Il ne faut cependant pas perdre de vue que l'agriculture peut aussi être à l'origine de catastrophes naturelles; c'est ainsi que des labours ou une utilisation du sol inadéquats peuvent provoquer de désastreux phénomènes d'érosion. En pareil cas, si la société demande aux agriculteurs de consentir des efforts supplémentaires spécifiques pour ramener de tels risques au niveau le plus bas possible, il peut en résulter des dépenses supplémentaires sans contrepartie marchande.
PRESSIONS EXERCÉES SUR L'AGRICULTURE AU DÉTRIMENT DES CONSIDÉRATIONS AUTRES QUE D'ORDRE COMMERCIAL
- La mise en œuvre de nouvelles techniques (intrants, matériel et équipement, variétés de semence, sélection animale) et l'amélioration de l'efficacité donne aux agriculteurs les moyens d'accroître la production et d'abaisser les coûts. S'il n'existe pas d'instruments politiques permettant de corriger le jeu mécanique des forces du marché, les agriculteurs se voient contraints d'adopter un mode de raisonnement étroitement économique qui ne laisse guère de place à la prise en compte de prestations au service de la collectivité. Ce processus, si la politique des pouvoirs publics n'en tient pas compte, peut conduire les agriculteurs à détruire certains paysages caractéristiques, malgré les conséquences funestes des apports fertilisants pour la flore sauvage et en dépit du risque de pollution. Quatre tendances bien identifiées caractérisent cette évolution de l'agriculture moderne:
- concentration, consistant pour des agriculteurs spécialisés dans la même production à se rassembler dans certaines zones pour accroître les économies d'échelle, par exemple en abaissant les coûts d'approvisionnement;
- spécialisation, processus qui se traduit par le déclin de l'exploitation mixte et par le développement de la monoculture;
- intensification, d'où un recours accru aux intrants, une augmentation des coûts d'exploitation et la nécessité d'accroître les rendements pour faire face à l'alourdissement des dépenses;
- marginalisation, facteur de sous-utilisation et ici ou là d'abandon de terres arables structurellement handicapées.
- Toutes les tendances précitées jouent contre le souci d'apporter des réponses adéquates aux préoccupations d'ordre non commercial: destruction de précieux paysages; dégradation de la diversité biologique; aggravation de la pollution des ressources en eau; découplage entre les méthodes de production et les attentes de la collectivité.
CONCLUSIONS TIRÉES DU DOCUMENT D'ULLENSVANG
- Pour répondre aux préoccupations d'ordre non commercial de la société, qu'il s'agisse d'environnement ou d'aspects culturels, il conviendrait d'envisager la mise en œuvre de divers instruments politiques, en particulier:
- Actions d'encouragement sous forme de services de vulgarisation, de campagnes publicitaires et de sensibilisation du public (campagnes pouvant être animées par des organisations non gouvernementales).
- Dispositions contraignantes, le cas échéant, par exemple dans le cas d'activités liées à l'agriculture et qu'il convient de prohiber. La voie réglementaire peut être la solution appropriée pour prévenir des pollutions, les coûts d'éco-conditionnalité étant normalement à la charge des agriculteurs.
- Programmes conçus pour persuader les agriculteurs de fournir de leur plein gré des prestations d'intérêt collectif, par exemple dans le domaine de l'environnement. Les agriculteurs sont en principe disposés, dans l'intérêt de l'environnement, à aller au-delà de ce qu'exigent les "bonnes pratiques agricoles", pourvu que les services y afférents donnent lieu à une rétribution appropriée. En suscitant l'émergence d'un "marché" des services rendus à la collectivité, les agriculteurs peuvent intégrer dans leurs décisions économiques les facteurs environnementaux, au même titre que les caractéristiques de la demande qui se manifeste pour leurs productions végétales et animales.
- Dans l'élaboration des mesures destinées à la prise en compte des préoccupations d'ordre non commercial, il incombe aux gouvernements de faire en sorte que la politique adoptée vise clairement l'intérêt collectif. Il faut à cet effet que les politiques soient ciblées, axées sur des objectifs clairs, gérées dans la transparence et mises en œuvre selon des modalités propres à réduire le plus possible les risques de distorsion des échanges.
- Bon nombre de préoccupations d'ordre non commercial liées à l'environnement ne peuvent être prises en compte qu'à travers les activités agricoles. En conséquence, dans tous les cas où la société, au nom d'objectifs environnementaux légitimes, demandera aux agriculteurs de consentir des efforts en vue de prestations d'intérêt collectif allant au-delà de la "bonne pratique agricole", les agriculteurs devraient réagir favorablement, mais seulement pour autant que l'on couvrira leurs frais supplémentaires et leur manque à gagner.
- Le processus de réforme engagé dans le cadre des règles de l'OMC devrait permettre aux gouvernements d'appliquer des politiques prenant en compte les considérations légitimes d'ordre non commercial liées à l'environnement.
Annexe 2
INSTRUMENTS POLITIQUES UTILISÉS POUR PRENDRE EN COMPTE LES CAOC LIÉES A L'ENVIRONNEMENT
UNION EUROPÉENNE
Pour l'UE, l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam a mis plus fortement l'accent sur l'objectif du développement durable, sans remettre en cause les dispositions antérieures régissant la politique environnementale et la politique agricole. A notamment été mise en lumière la nécessité d'intégrer des exigences relatives à la protection de l'environnement dans la définition et dans la mise en œuvre de toutes les politiques communautaires. L'agriculture continuant à relever d'une politique communautaire et les instruments de la PAC faisant l'objet de décisions arrêtées par le Conseil des ministres, les préoccupations relatives à l'environnement peuvent être formulées, sanctionnées et prises en compte sur tout le territoire de l'UE.
Les réformes de la PAC engagées dans le cadre d'Agenda 2000 ont donné un élan vigoureux à l'intégration des préoccupations environnementales dans la politique agricole. La Commission, les États membres, les collectivités régionales et locales et les communautés agricoles et rurales disposent désormais de toute une panoplie d'instruments permettant de concrétiser le concept d'agriculture durable. Parallèlement à la poursuite de la réforme du marché, Agenda 2000 met en place un second pilier de la PAC, couvrant les aspects structurels et agroenvironnementaux ainsi que le développement rural.
Une disposition concernant l'"éco-conditionnalité", axée sur la prise en compte des exigences environnementales, a été introduite; elle habilite les États membres à réduire les versements directs aux agriculteurs (par exemple dans les secteurs de l'élevage, des cultures arables et de l'oléiculture), pour sanctionner des manquements aux dispositions législatives et réglementaires ou à diverses exigences concernant la protection de l'environnement.
JAPON
Étant donné les spécificités géographiques du pays - plus de 72% du territoire situé à plus de 100 mètres au-dessus du niveau de la mer, considérables différences d'altitude, violence des précipitations, propre à la zone asiatique des moussons - la riziculture a longtemps joué au Japon un rôle qui ne se limite pas à la production de riz. Elle prévient les inondations, l'érosion des sols et les glissements de terrain et elle contribue éminemment à la constitution des ressources en eau. Toutefois, l'accroissement des importations de denrées alimentaires qui a fait du Japon le premier importateur net mondial à cet égard, mais aussi une faible productivité, des conditions de vie moins favorables dans les zones rurales, le vieillissement de la population agricole et le manque de successeurs à la tête des exploitations ont entraîné une régression de la superficie totale affectée à la production de riz paddy. Cette superficie est tombée de 3,4 millions d'hectares en 1970 à 2,7 millions d'hectares en 1999, évolution qui a suscité de grandes inquiétudes à propos des questions environnementales dans le débat sur la politique agricole. De très vastes superficies agricoles ont été abandonnées chaque année, surtout dans des régions marginalisées, et les faits ont confirmé les craintes de ceux qui redoutaient de voir s'aggraver la dégradation des externalités positives de l'agriculture dans certaines zones rurales.
En règle générale, la politique agricole exerce sur l'environnement à la fois des effets positifs et des effets négatifs; la nocivité de ces derniers est particulièrement manifeste lorsque la politique mise en œuvre encourage une utilisation excessive des intrants ou qu'elle soumet l'environnement à de fortes pressions.
L'intervention des pouvoirs publics est toutefois indispensable là où il serait impossible, si elle devait faire défaut, de maintenir un certain niveau de production intérieure, nécessaire dans une optique environnementale. De fait, compte tenu de la situation précédemment exposée, un sondage d'opinion réalisé en juillet 2000 a montré que l'agriculture, aux yeux de quelque 65% des Japonais interrogés, contribue à la préservation de l'environnement, la proportion de réponses positives dépassant même 90 % en ce qui concerne la nécessité de maintenir une agriculture nationale jouant un rôle multifonctionnel. Dans ce contexte, le débat sur la politique agricole japonaise se focalise sur les moyens d'assurer la durabilité de l'agriculture, lesquels comprennent notamment des mesures dont les unes sont incluses dans la "boîte jaune" - soutien interne et droits d'entrée - et les autres dans la "boîte verte".
CORÉE
L'originalité géographique de la Corée tient à ses innombrables collines et montagnes, aux pentes abruptes. Les précipitations enregistrées de juin à coût varient selon les années de 600 à 800 mm, ce qui représente 60 % de la moyenne annuelle des précipitations. La structure saisonnière des précipitations a débouché sur la prédominance de la riziculture en altitude dans la production agricole du pays. Remontant à plusieurs milliers d'années, la culture du riz paddy en Corée, outre qu'elle assure la production d'un aliment de base, se traduit par diverses externalités positives au cours du processus de production: préservation de l'environnement grâce à la prévention des inondations, atténuation de l'érosion des sols, purification de l'air et des ressources en eau, conservation de la biodiversité, effets positifs dans les domaines social et culturel, notamment quant à la viabilité économique des communautés rurales et à la préservation de la culture traditionnelle, et enfin sécurité alimentaire.
Toutefois, les agriculteurs ont trop recours aux produits chimiques, notamment les engrais et pesticides, pour accroître la productivité, ce qui peut porter préjudice à l'environnement. À mesure que le revenu per capita et le niveau de vie progressaient en Corée à la faveur du développement économique, la société est devenue plus exigeante en matière de lutte contre la pollution imputable à l'agriculture. Parallèlement, la nécessité de préserver et de promouvoir les fonctions de l'agriculture favorables à l'environnement est de plus en plus communément admise. Un certain niveau de production nationale est indispensable à l'exercice des fonctions de l'agriculture bénéfiques pour l'environnement. La Corée demeurant un pays en développement qui n'a pas assez de ressources financières et administratives, elle n'a pas encore élaboré des politiques spécifiques et ciblées à la mesure de ses besoins, et elle reste largement tributaire des droits d'entrée et du soutien des prix pour garantir un certain niveau de production nationale.
Le gouvernement coréen a arrêté en 1997 une "loi en faveur de l'agriculture durable", afin de répondre d'une manière plus spécifique et mieux ciblée aux attentes d'une société devenue plus exigeante; c'est en application de cette loi que sont engagés depuis peu de nouveaux programmes prévoyant notamment des versements directs en faveur d'une agriculture respectueuse de l'environnement.
NORVÈGE
En matière de considérations d'ordre non commerciales liées à l'environnement, l'approche adoptée par la Norvège comporte deux éléments principaux. Étant donné - premier élément - que l'obtention d'effets positifs sur l'environnement peut uniquement découler d'activités agricoles, il est absolument nécessaire d'assurer la durabilité de l'agriculture et sa rentabilité au niveau de l'exploitation. Dans des zones telles que la Norvège, handicapées par un faible potentiel et par des coûts élevés, les pouvoirs publics devraient à cet effet intervenir assez largement en combinant diverses mesures dont beaucoup pourraient être axées sur la production. En Norvège, les mesures visant la production relèvent tantôt de la boîte bleue et tantôt de la boîte jaune, ces dernières étant axées sur un soutien des prix du marché grâce à une protection tarifaire.
Second élément, on a fréquemment recours à des mesures spécifiques, y compris un soutien ad hoc relevant de la boîte verte, à des écotaxes et réglementations environnementales et à des exigences en matière d'éco-conditionnalité, sur la base d'un ensemble de critères environnementaux, l'objectif étant d'encourager certaines pratiques agricoles et d'en éviter d'autres, et par là même d'assurer la qualité des prestations que fournit l'agriculture en faveur de l'environnement. En Norvège par exemple, le soutien ressortissant à la boîte bleue est subordonné à cette éco-conditionnalité, puisque le régime d'encouragement pour la préservation du paysage traditionnel ne joue que si l'agriculteur concerné répond à une séries de critères environnementaux.
SUISSE
Les réformes suisses mises en œuvre depuis 1992 font une large place aux préoccupations environnementales dans la politique agricole.
La plupart des versements effectués sur les crédits budgétaires sont assujettis à des dispositions en matière d'éco-conditionnalité (relatives à l'environnement) : seuls sont éligibles les agriculteurs en conformité avec un ensemble de normes environnementales rigoureuses et de strictes exigences en matière d'exploitation agricole (bonnes pratiques agricoles, que l'on appelle en Suisse "production intégrée/prestations écologiques requises"). Des versements supplémentaires au titre de l'agriculture biologique sont subordonnées au respect de normes environnementales encore plus rigoureuses. L'objectif sous-jacent à l'introduction des paiements au titre de l'éco-comptabilité était généralement de réduire le plus possible les effets négatifs et d'augmenter les retombées positives de la production agricole.
Les réformes lancées depuis 1992 ont par ailleurs introduit des versements agroenvironnementaux spécifiques assortis de conditions restrictives quant aux pratiques culturales ("écoversements"). Il s'agissait de répondre à la demande du public en ce qui concerne la biodiversité et d'autres prestations en faveur de l'environnement. Les versements ressortissant à cette dernière catégorie, très largement déconnectés de la production de denrées alimentaires et de fibres, se sont considérablement accrus au cours des dernières années. Ils ont notamment pour objet de promouvoir les prairies extensives, les haies, les décharges contrôlées, la jachère florale, le gel des terres avec rotation, l'exploitation herbagère de faible intensité, l'extensification sur certaines bandes de terre et la plantation d'arbres fruitiers à haute tige.
Le passage progressif du soutien des prix du marché à des dispositions telles que les paiements agroenvironnementaux aboutit, d'une part, à la fourniture plus abondante de prestations demandées par la société dans son ensemble, et d'autre part, à une production agricole plus axée sur les besoins du marché et capable de faire face à l'intensification de la concurrence étrangère, tant à l'intérieur du pays que sur les marchés mondiaux, en ce qui concerne certains produits.