Primier ministre Kjell Magne Bondevik
"Orient" et "Occident": une communauté culturelle historique
Historisk arkiv
Publisert under: Regjeringen Bondevik II
Utgiver: Statsministerens kontor
Article, Le Monde, 20 mai 2003
Tale/innlegg | Dato: 20.05.2003
Kjell Magne Bondevik, premier ministre norvégien
« Orient » et « Occident » : une communauté culturelle historique
Article, Le Monde, 20 mai 2003
Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord représentent, avec les Balkans, un défi en matière de politique extérieure et de sécurité qui ne concerne pas que les pays immédiatement voisins mais aussi l’Europe tout entière. Et le terrorisme issu des conflits du Moyen-Orient, qu’il soit ou non soutenu par des Etats, n’est pas un phénomène nouveau. La prolifération des armes de destruction massive dans la région constitue une menace contre notre continent. Un conflit dans cette partie du monde ou une crise politique, économique et sociale dans un pays de la région nous concerne tous, et pas seulement sous la forme d’un afflux de réfugiés. La crise en Irak illustre les choix difficiles auxquels nous sommes confrontés. Bien que la Norvège se soit opposée à la guerre dans le contexte actuel, elle est cependant satisfaite de la chute du régime de Saddam Hussein. Un régime qui reposait sur le mensonge, la haine et la violence. Nous ne pouvons pas accepter de tels régimes. Néanmoins, le désir de changer de régime ne justifie pas en soi le recours à l’action militaire.
Je ne partage pas la crainte de tous ceux qui, aujourd’hui, prétendent que le conflit entre l’« Occident » et l’« Orient » sera une nouvelle « guerre froide » comme celle qui a opposé les démocraties et les dictatures communistes. Les conflits en Irak, en Afghanistan, en Tchétchénie, l’effondrement de la Yougoslavie dans les années 1990, le conflit entre Israéliens et Palestiniens constituent des exemples d’un apparent « choc des civilisations », pour emprunter l’expression de Samuel P. Huntington. Mais il ne s’agit là ni de guerres de religion ni de manifestations d’un antagonisme entre l’« Occident » chrétien et l’« Orient » musulman. S’il est vrai que le XX e> siècle et les siècles précédents ont été témoins de guerres entre chrétiens et musulmans, des conflits ont également opposé des groupes à l’intérieur de chacune de ces religions.
L’« Occident » comme l’« Orient » sont certes constitués d’entités hétérogènes, mais elles n’en forment pas moins une communauté culturelle qui recouvre l’Europe, l’Amérique et une grande partie de l’Asie et de l’Afrique. A l’extrémité Nord de l’Europe, la Norvège fait partie de cette communauté depuis plus de mille ans. La Méditerranée, comme l’a montré l’historien français Fernand Braudel, a été autant un bassin d’échange d’idées et de marchandises qu’un théâtre d’affrontements. Dès le Moyen-Âge, les marchandises et, surtout, les idées et les connaissances ont traversé la Méditerranée et sont arrivées jusqu’en Norvège, à la périphérie de l’Europe. Les musulmans Al-Farabi et Ibn Rushd, plus connu en Occident sous le nom d’Averroès, ont eu une grande influence sur l’Europe chrétienne médiévale par leurs ouvrages sur Aristote, entre autres. Et au cours des deux derniers siècles, ce sont les idées européennes qui ont, à leur tour, marqué de leur empreinte le processus de modernisation du monde musulman, grâce à des personnalités aussi différentes que Mohammed Ali, Atatürk et Nasser.
L’histoire nous montre que ceux qui, au sein de notre espace culturel commun, ont le plus volontiers puisé dans le savoir des autres sont aussi ceux qui ont connu le développement le plus rapide. C’est un enseignement dont il faut savoir tirer les leçons.
Aujourd’hui, les nations chrétiennes manifestent souvent une arrogance impardonnable à l’égard du monde islamique. Une partie de celui-ci réagit à cette attitude par une réserve défensive. La peur de « l’autre » est exploitée par les populistes et les extrémistes des deux bords. Le résultat, nous le voyons dans les actes de terrorisme ou de violence à connotation raciste. Comme l’écrit Amin Maalouf, la haine est fille de la peur. Une peur due à un manque de connaissances, à la frustration et à une confiance insuffisante dans sa propre identité.
La foi religieuse, qu’elle soit musulmane, juive ou chrétienne, confère une identité et apporte une sécurité. A mon sens, elle est donc un élément de la solution et non pas un élément du problème, même dans les conflits entre populations de différentes appartenances religieuses. Comme le disait Gandhi, la foi religieuse est une acceptation de la fraternité entre tous les êtres humains. C’est pourquoi les dirigeants religieux sont souvent les premiers à faire preuve de compréhension à l’égard des autres religions et à prôner la tolérance.
Malheureusement, certains propagent une haine bien éloignée de l’amour qui constitue la base des religions. Il est d’autant plus important de construire des réseaux de dirigeants religieux susceptibles d’encourager une tolérance réciproque et l’amour du prochain, des notions fondamentales dans les trois religions qui dominent notre communauté culturelle. Ces dirigeants sont en effet mieux placés que d’autres pour combattre, non seulement par leurs paroles mais aussi par leurs actes, le poison répandu par les extrémistes au nom de leur religion. En janvier 1996, peu après la signature des accords de Dayton à Paris, le métropolite serbe orthodoxe Nikolaj a dit une messe de Noël à Sarajevo. C’était un message adressé à tous les Serbes de Bosnie en faveur de la paix pour dire qu’il fallait arrêter la guerre et créer un nouvel avenir avec les musulmans et les catholiques dans Sarajevo et l’Etat bosniaque multiconfessionel.
L’absence de soutien à l’intervention en Irak parmi des hommes d’Eglise et par des dirigeants de plusieurs Etats « occidentaux », n’a certes pas empêché la guerre, mais elle a permis d’atténuer, dans les pays musulmans, le sentiment erroné que la guerre était une croisade contre le monde musulman.
« Racontez-moi mon pays, ce pays qui semble un rêve où se perd, où se noie l’horizon de ma vie », écrit le poète palestinien Mahmoud Darwish à propos de la Palestine. Une belle façon d’exprimer la place centrale que tient le conflit israélo-palestinien dans la vision du monde de nombreux Arabes, palestiniens ou non. Il n’y a pas de dossier politique qui préoccupe davantage les peuples arabes, ou qui crée un plus grand fossé entre l’« Occident » et l’« Orient ». La recherche d’une solution durable, capable de satisfaire à la fois aux exigences légitimes de sécurité d’Israël et aux revendications des Palestiniens pour un Etat autonome doit donc être la première priorité. L’Europe doit contribuer de manière active au processus de paix, en coopération étroite avec les Etats-Unis et l’ONU. Des efforts et des sacrifices substantiels sont attendus des deux parties et l’Europe doit être prête à apporter sa contribution. Nous y avons un devoir moral, mais c’est aussi notre propre intérêt.
L’« Occident » jouit aujourd’hui d’une confiance limitée dans les pays musulmans. Nous devons être à la hauteur de nos exigences en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme. Il faut tolérer le non-conformisme politique et religieux. Les minorités doivent être protégées. Les femmes doivent jouir de la même liberté et des mêmes opportunités que les hommes. Nous devons pouvoir exiger cela des pays musulmans comme des pays chrétiens. L’« Occident » a malheureusement soutenu des régimes qui ont bafoué les droits de l’homme et les principes démocratiques. Cette attitude a pu contribuer à la radicalisation des mouvements islamistes, qui dans certains pays ont été victimes d’injustices. Ceci ne donne cependant pas le droit aux islamistes de persécuter les chrétiens ou d’autres croyants, ni d’appeler à la violence et à la terreur. Nous devons être fermes sur ces principes.
Je crois à la coopération et au dialogue constructifs entre l’« Occident » et l’« Orient », basés sur le respect mutuel. La coopération en matière de commerce, de développement, de sécurité et de culture entre les Etats européens et les pays à l’est et au sud de la Méditerranée est un important moyen de prévention des conflits. En outre, le développement économique et social facilitera les réformes démocratiques. La Norvège soutient donc le Partenariat euro-méditerranéen de l’UE et l’importance donnée à la région méditerranéenne dans le cadre de l’initiative en faveur d’une Europe élargie.